Il est une constante dans les tarots initiatiques : chaque image s’inscrit dans un rectangle, appelé carré long.
Jusqu’au 19e siècle, cette dénomination était couramment utilisée pour qualifier n’importe quel rectangle. Pourtant les initiés lui attribuent depuis toujours une valeur bien précise : sa longueur doit être égale à deux fois sa largeur. Ainsi construit, le carré long couvre la surface de deux carrés juxtaposés. L’enceinte ainsi délimitée remplit un rôle puissant, quasiment magique : elle devient un lieu de rencontre entre celle ou celui qui manipule les cartes, et une puissance transcendante.
Les deux tarots d’Oswald Wirth n’échappent pas à ce rapport de deux sur un. Mais quel sens doit-on donner à cet assemblage ?
Si le tarot n’était qu’un simple jeu de cartes, sans doute n’attacherions-nous aucune importance à ses dimensions, pourvu qu’elles soient esthétiques. D’ailleurs, il existe de nombreux jeux dont les proportions sont différentes. Certains auteurs, conservant la dénomination carré long, ont adopté une autre proportion symbolique, probablement plus harmonieuse, celle du Nombre d’Or, que l’on associe aux pythagoriciens.
Mais le format des lames a une autre origine, bien plus ancienne, oubliée par certains. Nous en trouverions des exemples en Egypte et en Mésopotamie (espace central des temples VII et VIII dédiés à Enki dans la cité sumérienne d’Eridu , – 5000 à – 3000 av J.C.), mais la plus évidente et la plus proche de nous fait référence au Temple de Salomon. La Bible, dans le Livre des Rois (1 Rois 6-8), nous donne une description de ce temple, dont on retiendra ceci :
Le temple que le roi Salomon bâtit pour Yahwé a 60 coudées de long, 20 de large et 30 de haut.
Au sol, il s’agit donc d’un rectangle trois fois plus long que large (60 sur 20). Mais cet espace est divisé en deux parties : le Saint des Saints, appelé Débir, qui reçoit l’Arche d’Alliance, et où seul le grand prêtre pénètre, fait vingt coudées de long sur vingt de large, son plan a donc la forme d’un carré régulier ; le Saint, appelé Hékal ou « chambre du milieu », plus proche de l’entrée, fait 40 coudées de long sur 20 de large. C’est cet espace qui constitue le « carré long ».
Certaines sociétés initiatiques ont conservé le carré long, ainsi que la référence à la « chambre du milieu ». En franc-maçonnerie, chaque degré de la progression de l’initié est symbolisé par un « tableau de loge » dont la forme est aussi un carré long. Et là encore, il prend souvent la forme d’un rectangle aux proportions du Nombre d’Or.

On comprend bien qu’il y a là deux traditions qui cohabitent et parfois s’opposent : la tradition vétérotestamentaire, pour qui l’espace sacré, rencontre entre le monde d’en bas et le monde d’en haut, prend les proportions de la dualité, 2 sur 1 ; la tradition pythagoricienne, pour laquelle le Nombre d’Or est la mesure harmonieuse du monde physique. Faut-il les opposer ? Sans doute pas, si l’on comprend bien que ces deux définitions du carré long correspondent à deux intentions bien différentes. Et d’ailleurs, Papus n’a-t’il pas voulu concilier les deux ?
Le Tarot de Papus
Papus nous invite à découper les cartes qui figurent dans les dernières pages de son ouvrage « Le tarot divinatoire » au format de 10 x 15 cm. On notera qu’il s’agit d’un rapport de 2 sur 3, soit l’un des premiers termes de la suite de Fibonacci qui nous amène, par approximations successives, aux proportions du Nombre d’Or. Et le tableau de chaque lame figure bien dans un « carré long » de rapport 1 sur 2. Mais le dessinateur Jeau-Gabriel Goulinat et l’éditeur et imprimeur Henri Durville connaissaient-ils cette consigne de Papus ? Probablement pas, si l’on en juge par les dimensions, certes proches de 10 x 15 cm, mais irrégulières, du cadre entourant chaque lame. Nous avons choisi pour notre part, dans notre prochaine édition du tarot de Papus, de respecter la proportion du Nombre d’Or pour les limites extérieures de chaque lame et, bien sûr, la dimension de 2 sur 1 pour les tableaux.
On notera que si Oswald Wirth, Papus, Robert Falconnier, Nicolas Conver, Alliette ont bien respecté la règle du carré long, ce n’est pas le cas de Dodal qui, bien que conservant les figures des 22 arcanes majeurs sans trop d’altérations, inscrit les figures dans un rectangle de 1 sur 1,83. Il y eut donc, à un certain moment, perte du sens ésotérique du tarot. Aujourd’hui encore, de nombreux jeux modernes s’écartent, parfois de beaucoup, des lames originelles. Si ces jeux, parfois très jolis, conservent leur attrait, il est donc bien utile, pour ne rien perdre d’une tradition ancestrale, de préserver et transmettre les tarots authentiques. C’est ce qu’a fait, dans une large mesure, Oswald Wirth.
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